La
Gazette
Asile donné, asile
respecté n°33 –
25/10/04 "Je n'ai jamais tué et je peux le
dire les yeux dans les yeux aux parents, aux victimes, aux
magistrats" Jean-Pierre
Raffarin a signé le décret d'extradition de Battisti Ainsi, après la cour d’appel
qui, le 30 juin, a bafoué le droit français, après la cour de cassation qui a
examiné le dossier dans le même état d’esprit (il se murmure que pour certains,
il y aura de la promotion), c’est au tour du premier ministre de signer le
décret d’extradition, fidèle en cela à la ligne définie par le Président de la
République qui avait déclaré, sans même attendre la décision de la cour de
cassation que "si une personne est condamnée pour des crimes terroristes, dans
une démocratie et un Etat de droit, il est évidemment de notre devoir, de notre
responsabilité de répondre favorablement à une demande d'extradition".
Cette fois, le reniement par
Chirac de la parole donnée en 1985, au nom de la France, est consommé. Pour quel
contrat secret entre les deux pays, le droit d’asile accordé à plusieurs
centaines d’Italiens est-il devenu lettre morte ? Pour quel enjeu Perben
s’acharne-t-il sur Cesare Battisti alors que le jour même de son arrestation, le
10 février, celui-ci recevait une lettre du ministère des affaires étrangères
lui accordant le droit d’être naturalisé, à l’issue de trois années
d’enquête. La législation italienne est
la seule d’Europe à refuser un procès à une personne condamnée alors qu’elle
était absente du tribunal pendant le jugement. Dans tous les pays d’Europe,
lorsque cette personne refait surface, elle a droit à un nouveau procès. Quant
le président Chirac se prononce pour l’extradition de Battisti, cela revient à
approuver cette législation obsolète. Que celui qu’il expulse aille croupir
jusqu’à la fin de sa vie dans un cachot, peu lui chaut au président !
Et les enfants de Battisti ? Et sa famille ?
Qui y pense, qui y a pensé au niveau du gouvernement ? On me rétorquera que
parmi les familles des victimes attribuées à Battisti, il y a eu aussi des
enfants et des souffrances. Je serai malvenu de le contester mais lorsque le
condamné déclare « je n’ai jamais tué et je peux le dire dans les yeux aux
parents, aux victimes , aux magistrats », on est tout de même en droit de
s’interroger sur la présomption d’innocence. Comme l’a demandé lui même
Battisti, l’organisation d’un nouveau procès est une
doléance naturelle car tout condamné
devrait avoir le droit de prouver son innocence. Visiblement cette exigence
démocratique est mal accueillie tant il est vrai qu’en faisant un procès en
présence de Battisti, c’est peut-être le procès de ce que fut la justice
italienne qui serait mis en évidence. Cesare Battisti ne dispose
plus que d'un ultime recours qui va être déposé devant le Conseil d'Etat, a
annoncé un de ses avocats samedi soir. Le recours devant le conseil d'Etat n'est
pas suspensif, a précisé maître Turcon, qi désormais s’occupe de sa défense. Il
a toutefois ajouté : "Il existe une tradition française qui est de ne pas
extrader quelqu'un tant que son recours n'a pas été examiné par le
conseil". Claude
Mesplède Les
réserves de François Bayrou « Un nouveau procès en Italie
aurait été souhaitable » François Bayrou, président de l'UDF, a
exprimé lundi des réserves sur l'extradition de Cesare Battisti, en expliquant
qu'un nouveau procès en Italie aurait été souhaitable. Il a confié au quotidien
Libération : « Je suis
indéfectiblement pour la lutte rigoureuse contre le terrorisme, et je n'ai
aucune indulgence pour le mécanisme obsessionnel qui conduit à la lutte armée.
Je suis favorable à l'espace judiciaire européen et à un parquet européen. Je me
suis toujours interrogé sur la "doctrine Mitterrand", ne sachant pas si elle
s'appliquait ou pas aux auteurs de crimes de sang. « Je n'aurais
donc eu aucune interrogation de fond dans cette affaire sans le statut de la
contumace italienne. En effet, en Italie, le jugement devient définitif sans que
le procès ait eu lieu en présence du condamné. Et ceci, la France se l'est
interdit depuis cent cinquante ans. Si, j'avais été au
gouvernement, j'aurais eu une discussion avec l'Etat italien et je lui aurais
demandé que l'extradition s'accompagne d'un nouveau procès en présence de
l'intéressé. C'est un élément fort d'interrogation, et je partage cet avis avec
de nombreux juristes. »
AGENCE
FRANCE PRESSE PARIS Ou
comment caviarder une dépêche ! Dans la dépêche diffusée par
l’AFP pour annoncer la signature par Jean-Pierre Raffarin du décret
d'extradition de Cesare Battisti, le rédacteur retrace à grands traits toute
l’affaire. Le paragraphe suivant (surligné en jaune et encadré) mérite un
commentaire. Ancien
responsable du mouvement des "prolétaires armés pour le communisme", 49 ans, a
passé huit ans dans la clandestinité au Mexique avant de venir s'installer en
France en 1990. Il s'était auparavant évadé d'une prison italienne où il
purgeait une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour
d'assises de Milan pour des homicides et tentatives d'homicides commis en
Italie Cela fait neuf mois déjà que
cette affaire a débuté et certains sont toujours aussi experts dans la diffusion
de fausses informations. On se rappelle que les Renseignements Généraux
distribuèrent en février dernier une « note blanche » dans laquelle on
pouvait lire entre autres mensonges délibérés, qu’en 1991, la cour d’appel avait
émis un avis favorable à l’extradition de Battisti. (La Vérité sur Cesare Battisti, p. 195).
Autre exemple de
désinformation. Jusqu’à ce jour les auteurs de l’attentat de la gare de Bologne
étaient connus pour appartenir à l’extrême droite italienne. Ils ont d’ailleurs
été relaxés en mars dernier par un tribunal qui a estimé non fiable les paroles
de « repentis ». Il y a quelques semaines, dans un article, une
journaliste du Monde a attribué sans ciller ce massacre aux Brigades
Rouges. Une lectrice signale par
écrit au Monde cette grossière erreur. Que croyez vous qu’il se
passa ? Rien ! Le médiateur remercia la lectrice de sa lecture
attentive en disant qu’il prévenait la journaliste. Résultat : pendant au
moins une semaine, l’information n’a pas été modifiée. Pendant une semaine le
Monde a osé écrire que les Brigades rouges étaient responsables des 82
morts de la gare de Bologne. Et lorsque le journal a enfin rectifié cette
énormité, pas un mot pour s’excuser. La goujaterie le dispute à l’ignorance ou à
la manipulation. Plutôt que de vendre des DVD pour essayer d’augmenter sa
diffusion, Le Monde devrait manifester plus de sérieux dans ses
informations. L’exemple fourni aujourd’hui
par cette dépêche de l’AFP est du même genre. En effet, lorsque le 4 octobre
1981 Battisti s’est évadé de sa prison, il ne purgeait pas une peine de
réclusion criminelle comme l’affirme cette dépêche qui a été reprise par toute
la presse. Encore un mensonge pour embrouiller l’affaire. A cette date, Battisti
avait été condamné à quelques 12 ans de prison pour appartenance à un groupe
armé. Ce sera seulement plusieurs années après son évasion et grâce aux
déclarations d’un repenti qui avait pas mal de choses à se faire pardonner, que
Battisti se verra accusé de tous les meurtres commis par le groupe dont il
faisait partie. Il sera alors condamné à la perpétuité en son absence, ce que se
garde bien de préciser notre rédacteur. Si le journaliste de l’AFP
avait relu son article, il se serait rendu compte d’une contradiction car il
écrit vers la fin que Battisti a été condamné à perpétuité en 1993, ce qui
sous-entend bien qu’il ne l’avait pas été en 1981. Là encore, cette information
est soigneusement magouillée, car en réalité la condamnation a eu lieu en 1991.
Et cette différence de deux ans entre 1991 et 1993 (où le dossier est repassé
définitivement) n’est pas une clause de style. Elle a servi aux autorités
italiennes à légitimer l’extradition en arguant du fait que ce n’était pas la
même affaire qu’avait à juger la cour d’appel (en réponse à notre slogan affaire
jugée ne peut plus être rejugée). Lorsque l’on sait que les
dépêches de l’AFP sont souvent reprises in extenso dans la presse française, les
salles de rédaction des radios et des télévisions, on peut imaginer comment ces
fausses informations peuvent troubler l’opinion. Quant à savoir s’il s’agit
d’une désinformation volontaire, d’une mauvaise connaissance du dossier ou
d’insuffisance professionnelle, nous nous garderons bien de trancher.
CM LETTRE
À BERTRAND DELANOÉ
Après avoir placé Cesare Battisti sous la protection de la ville de Paris dont il est maire, Bertrand Delanoé semble avoir nuancé sa position comme en témoigne cet extrait de son livre «La vie, passionnément ». «
En mars 2004, le Conseil de Paris a voté une résolution soutenant Cesare
Battisti, ancien membre des Brigades rouges, condamné en Italie pour plusieurs
actions meurtrières, qui avait été accueilli par la France avec cent cinquante
autres anciens activistes, à la condition expresse qu'ils renoncent à la
violence. Je dois ici avouer avoir manqué de vigilance et d'autorité. S'il était
juste que la majorité du Conseil de Paris s'exprime sur le droit, sur le respect
de la parole donnée, et qu'elle demande en conséquence l'annulation de la mesure
d'extradition qui frappait Battisti, en revanche, il est vraiment regrettable
qu'elle ait exprimé de la complaisance, voire de la sympathie pour son passé.
Les atteintes à la vie pour motif idéologique, les assassinats censés hâter le
Grand Soir ne sont pas plus admissibles que les meurtres rituels ou les tueries
au nom de la religion ». J’ai adressé par Internet la lettre suivante au maire de Paris début octobre. Je n’ai toujours pas reçu de réponse à ce jour. Monsieur Delanoé, Attentif à votre élection comme maire de Paris, j'ai toujours apprécié votre façon d'être, de dire et de faire, aussi votre sens de la démocratie, de ce que je peux en percevoir depuis Toulouse où je réside et bien que je ne sois pas adhérent de votre parti. C’est pourquoi je suis déçu d'avoir découvert dans le livre que vous venez de publier deux affirmations qui m'ont atterré. Comment l’homme avisé que vous êtes a-t-il pu les écrire sans en mesurer les conséquences. Il s'agit de votre déclaration à propos de Battisti qui me touche d’autant que je suis membre d'un comité qui agit pour empêcher son extradition et pour que la parole donnée par le président Mitterrand soit respectée comme elle n’a cessé de l’être pendant 18 ans. Première erreur dans votre livre : vous qualifiez Battisti de membre des brigades rouges. Il appartenait au PAC (prolétaires armés pour le communisme) un groupe d’une soixantaine de membres. Si ce groupe a commis exactions et quatre homicides à la fin des années 70, depuis, Battisti n’a jamais fait l’apologie de la lutte armée, ni dans ses romans, ni dans ses propos. Au contraire, même s’il a mis quelques années à le comprendre, il considère cette voie comme une tragique erreur. C’est le message qu’il transmet aux jeunes d’aujourd’hui. Mais j’ai reçu le coup de grâce en lisant sous votre plume : « il est vraiment regrettable qu'elle [la majorité du conseil de Paris] ait exprimé de la complaisance, voire de la sympathie pour son passé.». Durant ces derniers mois, j’ai eu plusieurs rencontres avec des représentants de votre majorité dans ses trois composantes (PS, PC et verts). Je n’ai jamais ressenti chez mes interlocuteurs la moindre complaisance, ni de la sympathie pour le passé de l’accusé. Invité à une émission de France Inter sur cette affaire, en mars dernier, où j’étais opposé à Max Gallo, mes premiers mots ont été pour condamner toute violence armée d’où qu’elle vienne. Toutefois, sans approuver le passé de l’accusé, je n’accepte pas davantage que soit bafouée la parole de la France alors que celle-ci a été respectée depuis 1985. Cette atteinte au droit d’asile, cette angoisse accablant des dizaines de familles qui s’étaient construites à la suite des engagements de la France, ce stress, ces douleurs, ces peurs ressentis par ces réfugiés, n’épargnent ni leurs conjoints, ni leurs enfants. Tous ceux là sont innocents et aucun ne devrait avoir à souffrir pour des faits vieux de trente ans qui auraient dû être depuis longtemps amnistiés comme ils l’ont été pour tous les membres de l’extrême droite italienne malgré les attentats aveugles commis. Il est évident que vous n’avez jamais envisagé l’innocence de l’accusé. Le recueil « La vérité sur Cesare Battisti » rédigé par Fred Vargas, que nous vous avions adressé, révèle entre autres qu’il n’y a jamais eu aucun témoin pour l’accuser. Le seul accusateur (et ceci quelques années après les faits) fut un ancien membre du groupe, arrêté lui même pour homicide. Ce « repenti » accepta facilement de tout coller sur son ex-copain. Ce dernier, réfugié au Mexique, ignorait tout de son procès. Il découvrit sa condamnation en 1991, en rentrant en France et croyant à une farce déchira le dossier. Récemment, Battisti a réclamé un vrai procès en présence d’observateurs. Il est en effet troublant qu’on lui refuse ce qu’on accorde à des criminels de guerre comme Milosevitch ou Sadam Hussein. Par ailleurs, comment pouvez-vous trouver de la complaisance dans vos rangs et ne rien dire à propos de l’attitude des juges de la cour d’appel qui, non seulement ont déjugé leurs prédécesseurs en accordant une extradition vers un pays dont la loi sur la contumace reste une anomalie en Europe, mais ont aussi accepté de rejuger une affaire qui l’avait déjà été une fois. Vous ne dites pas non plus ce que vous avez ressenti en entendant, le ministre Perben, en direct à la télévision, annoncer son verdict la veille du jugement alors que la plus extrême discrétion de sa part s’imposait. Je suis donc déçu par vos petites phrases. Elles nous blessent de façon personnelle même si nous ne sommes pas des élus de votre majorité. En laissant entendre que certains défenseurs actifs de Battisti pratiquent une sorte de double jeu, vous n’avez pas contribué à clarifier la situation. Je dirai même mieux, vous nous avez fait reculer ; je sais bien que vous ne l'avez pas fait de façon délibérée, mais votre prise de position influence du monde comme vous devez le savoir. Si des personnes se sont comportées de façon anormale, il fallait s’en prendre à ces personnes plutôt que de jeter la suspicion sur tout un mouvement qui n’a jamais fait l’apologie de la lutte armée. Enfin, renseignez-vous davantage sur cette affaire car la majorité de la presse n’a vraiment pas été à la hauteur pour donner des points de vue qui éclairent les faits, rien que les faits. Salutations déçues. Claude Mesplède |