La Gazette                

Asile donné, asile respecté

n°33 – 25/10/04

 

"Je n'ai jamais tué et je peux le dire les yeux dans les yeux aux parents, aux victimes, aux magistrats"
Cesare Battisti. Interview parue dans le Journal du Dimanche du 8 août

 

Jean-Pierre Raffarin a signé le décret d'extradition de Battisti

Ainsi, après la cour d’appel qui, le 30 juin, a bafoué le droit français, après la cour de cassation qui a examiné le dossier dans le même état d’esprit (il se murmure que pour certains, il y aura de la promotion), c’est au tour du premier ministre de signer le décret d’extradition, fidèle en cela à la ligne définie par le Président de la République qui avait déclaré, sans même attendre la décision de la cour de cassation que "si une personne est condamnée pour des crimes terroristes, dans une démocratie et un Etat de droit, il est évidemment de notre devoir, de notre responsabilité de répondre favorablement à une demande d'extradition".

 

Cette fois, le reniement par Chirac de la parole donnée en 1985, au nom de la France, est consommé. Pour quel contrat secret entre les deux pays, le droit d’asile accordé à plusieurs centaines d’Italiens est-il devenu lettre morte ? Pour quel enjeu Perben s’acharne-t-il sur Cesare Battisti alors que le jour même de son arrestation, le 10 février, celui-ci recevait une lettre du ministère des affaires étrangères lui accordant le droit d’être naturalisé, à l’issue de trois années d’enquête.

 

La législation italienne est la seule d’Europe à refuser un procès à une personne condamnée alors qu’elle était absente du tribunal pendant le jugement. Dans tous les pays d’Europe, lorsque cette personne refait surface, elle a droit à un nouveau procès. Quant le président Chirac se prononce pour l’extradition de Battisti, cela revient à approuver cette législation obsolète. Que celui qu’il expulse aille croupir jusqu’à la fin de sa vie dans un cachot, peu lui chaut au président !                         

 

Et les enfants  de Battisti ? Et sa famille ? Qui y pense, qui y a pensé au niveau du gouvernement ? On me rétorquera que parmi les familles des victimes attribuées à Battisti, il y a eu aussi des enfants et des souffrances. Je serai malvenu de le contester mais lorsque le condamné déclare « je n’ai jamais tué et je peux le dire dans les yeux aux parents, aux victimes , aux magistrats », on est tout de même en droit de s’interroger sur la présomption d’innocence.

 

Comme l’a demandé lui même Battisti, l’organisation d’un nouveau procès est une doléance

naturelle car tout condamné devrait avoir le droit de prouver son innocence. Visiblement cette exigence démocratique est mal accueillie tant il est vrai qu’en faisant un procès en présence de Battisti, c’est peut-être le procès de ce que fut la justice italienne qui serait mis en évidence.

Cesare Battisti ne dispose plus que d'un ultime recours qui va être déposé devant le Conseil d'Etat, a annoncé un de ses avocats samedi soir. Le recours devant le conseil d'Etat n'est pas suspensif, a précisé maître Turcon, qi désormais s’occupe de sa défense. Il a toutefois ajouté : "Il existe une tradition française qui est de ne pas extrader quelqu'un tant que son recours n'a pas été examiné par le conseil".

Claude Mesplède

 

 

Les réserves de François Bayrou

 

« Un nouveau procès en Italie aurait été souhaitable »

 

François Bayrou, président de l'UDF, a exprimé lundi des réserves sur l'extradition de Cesare Battisti, en expliquant qu'un nouveau procès en Italie aurait été souhaitable. Il a confié au quotidien Libération : « Je suis indéfectiblement pour la lutte rigoureuse contre le terrorisme, et je n'ai aucune indulgence pour le mécanisme obsessionnel qui conduit à la lutte armée. Je suis favorable à l'espace judiciaire européen et à un parquet européen. Je me suis toujours interrogé sur la "doctrine Mitterrand", ne sachant pas si elle s'appliquait ou pas aux auteurs de crimes de sang.

« Je n'aurais donc eu aucune interrogation de fond dans cette affaire sans le statut de la contumace italienne. En effet, en Italie, le jugement devient définitif sans que le procès ait eu lieu en présence du condamné. Et ceci, la France se l'est interdit depuis cent cinquante ans. Si, j'avais été au gouvernement, j'aurais eu une discussion avec l'Etat italien et je lui aurais demandé que l'extradition s'accompagne d'un nouveau procès en présence de l'intéressé. C'est un élément fort d'interrogation, et je partage cet avis avec de nombreux juristes. »

 

 

 

 

AGENCE FRANCE PRESSE PARIS

 

Ou comment caviarder une dépêche !

Dans la dépêche diffusée par l’AFP pour annoncer la signature par Jean-Pierre Raffarin du décret d'extradition de Cesare Battisti, le rédacteur retrace à grands traits toute l’affaire. Le paragraphe suivant (surligné en jaune et encadré) mérite un commentaire.

Ancien responsable du mouvement des "prolétaires armés pour le communisme", 49 ans, a passé huit ans dans la clandestinité au Mexique avant de venir s'installer en France en 1990. Il s'était auparavant évadé d'une prison italienne où il purgeait une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour d'assises de Milan pour des homicides et tentatives d'homicides commis en Italie

 

Cela fait neuf mois déjà que cette affaire a débuté et certains sont toujours aussi experts dans la diffusion de fausses informations. On se rappelle que les Renseignements Généraux distribuèrent en février dernier une « note blanche » dans laquelle on pouvait lire entre autres mensonges délibérés, qu’en 1991, la cour d’appel avait émis un avis favorable à l’extradition de Battisti.  (La Vérité sur Cesare Battisti, p. 195).

 

Autre exemple de désinformation. Jusqu’à ce jour les auteurs de l’attentat de la gare de Bologne étaient connus pour appartenir à l’extrême droite italienne. Ils ont d’ailleurs été relaxés en mars dernier par un tribunal qui a estimé non fiable les paroles de « repentis ». Il y a quelques semaines, dans un article, une journaliste du Monde a attribué sans ciller ce massacre aux Brigades Rouges.

 

Une lectrice signale par écrit au Monde cette grossière erreur. Que croyez vous qu’il se passa ? Rien ! Le médiateur remercia la lectrice de sa lecture attentive en disant qu’il prévenait la journaliste. Résultat : pendant au moins une semaine, l’information n’a pas été modifiée. Pendant une semaine le Monde a osé écrire que les Brigades rouges étaient responsables des 82 morts de la gare de Bologne. Et lorsque le journal a enfin rectifié cette énormité, pas un mot pour s’excuser. La goujaterie le dispute à l’ignorance ou à la manipulation. Plutôt que de vendre des DVD pour essayer d’augmenter sa diffusion, Le Monde devrait manifester plus de sérieux dans ses informations.

 

L’exemple fourni aujourd’hui par cette dépêche de l’AFP est du même genre. En effet, lorsque le 4 octobre 1981 Battisti s’est évadé de sa prison, il ne purgeait pas une peine de réclusion criminelle comme l’affirme cette dépêche qui a été reprise par toute la presse. Encore un mensonge pour embrouiller l’affaire. A cette date, Battisti avait été condamné à quelques 12 ans de prison pour appartenance à un groupe armé. Ce sera seulement plusieurs années après son évasion et grâce aux déclarations d’un repenti qui avait pas mal de choses à se faire pardonner, que Battisti se verra accusé de tous les meurtres commis par le groupe dont il faisait partie. Il sera alors condamné à la perpétuité en son absence, ce que se garde bien de préciser notre rédacteur.

 

Si le journaliste de l’AFP avait relu son article, il se serait rendu compte d’une contradiction car il écrit vers la fin que Battisti a été condamné à perpétuité en 1993, ce qui sous-entend bien qu’il ne l’avait pas été en 1981. Là encore, cette information est soigneusement magouillée, car en réalité la condamnation a eu lieu en 1991. Et cette différence de deux ans entre 1991 et 1993 (où le dossier est repassé définitivement) n’est pas une clause de style. Elle a servi aux autorités italiennes à légitimer l’extradition en arguant du fait que ce n’était pas la même affaire qu’avait à juger la cour d’appel (en réponse à notre slogan affaire jugée ne peut plus être rejugée).

 

Lorsque l’on sait que les dépêches de l’AFP sont souvent reprises in extenso dans la presse française, les salles de rédaction des radios et des télévisions, on peut imaginer comment ces fausses informations peuvent troubler l’opinion. Quant à savoir s’il s’agit d’une désinformation volontaire, d’une mauvaise connaissance du dossier ou d’insuffisance professionnelle, nous nous garderons bien de trancher.

 

CM

 

 

La Gazette a aussi son site

 

http://cesarebattisti.free.fr

 

 

LETTRE À BERTRAND DELANOÉ

 

Après avoir placé Cesare Battisti sous la protection de la ville de Paris dont il est maire, Bertrand Delanoé semble avoir nuancé sa position comme en témoigne cet extrait de son livre «La vie,   passionnément ».

 

« En mars 2004, le Conseil de Paris a voté une résolution soutenant Cesare Battisti, ancien membre des Brigades rouges, condamné en Italie pour plusieurs actions meurtrières, qui avait été accueilli par la France avec cent cinquante autres anciens activistes, à la condition expresse qu'ils renoncent à la violence. Je dois ici avouer avoir manqué de vigilance et d'autorité. S'il était juste que la majorité du Conseil de Paris s'exprime sur le droit, sur le respect de la parole donnée, et qu'elle demande en conséquence l'annulation de la mesure d'extradition qui frappait Battisti, en revanche, il est vraiment regrettable qu'elle ait exprimé de la complaisance, voire de la sympathie pour son passé. Les atteintes à la vie pour motif idéologique, les assassinats censés hâter le Grand Soir ne sont pas plus admissibles que les meurtres rituels ou les tueries au nom de la religion ».

 

J’ai adressé par Internet la lettre suivante au maire de Paris début octobre. Je n’ai toujours pas reçu de réponse à ce jour.

 

Monsieur Delanoé,

Attentif à votre élection comme maire de Paris, j'ai toujours apprécié votre façon d'être, de dire et de faire, aussi votre sens de la démocratie, de ce que je peux en percevoir depuis Toulouse où je réside et bien que je ne sois pas adhérent de votre parti. C’est pourquoi je suis déçu d'avoir découvert dans le livre que vous venez de publier deux affirmations qui m'ont atterré. Comment l’homme avisé que vous êtes a-t-il pu les écrire sans en mesurer les conséquences. Il s'agit de votre déclaration à propos de Battisti qui me touche d’autant que je suis membre d'un comité qui agit pour empêcher son extradition et pour que la parole donnée par le président Mitterrand soit respectée comme elle n’a cessé de l’être pendant 18 ans.

 

Première erreur dans votre livre : vous qualifiez Battisti de membre des brigades rouges. Il appartenait au PAC (prolétaires armés pour le communisme) un groupe d’une soixantaine de membres. Si ce groupe a commis exactions et quatre homicides à la fin des années 70, depuis, Battisti n’a jamais fait l’apologie de la lutte armée, ni dans ses romans, ni dans ses propos. Au contraire, même s’il a mis quelques années à le comprendre, il considère cette voie comme une tragique erreur. C’est le message qu’il transmet aux jeunes d’aujourd’hui.

 

Mais j’ai reçu le coup de grâce en lisant sous votre plume : « il est vraiment regrettable qu'elle [la majorité du conseil de Paris] ait exprimé de la complaisance, voire de la sympathie pour son passé.». Durant ces derniers mois, j’ai eu plusieurs rencontres avec des représentants de votre majorité dans ses trois composantes (PS, PC et verts). Je n’ai jamais ressenti chez mes interlocuteurs la moindre complaisance, ni de la sympathie pour le passé de l’accusé. Invité à une émission de France Inter sur cette affaire, en mars dernier, où j’étais opposé à Max Gallo,  mes premiers mots ont été pour condamner toute violence armée d’où qu’elle vienne. Toutefois, sans approuver le passé de l’accusé, je n’accepte pas davantage que soit bafouée la parole de la France alors que celle-ci a été respectée depuis 1985. Cette atteinte au droit d’asile, cette angoisse accablant des dizaines de familles qui s’étaient construites à la suite des engagements de la France, ce stress, ces douleurs, ces peurs ressentis par ces réfugiés, n’épargnent ni leurs conjoints, ni leurs enfants. Tous ceux là sont innocents et aucun ne devrait avoir à souffrir  pour des faits vieux de trente ans qui auraient dû être depuis longtemps amnistiés comme ils l’ont été pour tous les membres de l’extrême droite italienne malgré les attentats aveugles commis.

 

Il est évident que vous n’avez jamais envisagé l’innocence de l’accusé. Le recueil  « La vérité sur Cesare Battisti » rédigé par Fred Vargas, que nous vous avions adressé, révèle entre autres qu’il n’y a jamais eu aucun témoin pour l’accuser. Le seul accusateur (et ceci quelques années après les faits) fut un ancien membre du groupe, arrêté lui même pour homicide. Ce « repenti » accepta facilement de tout coller sur son ex-copain. Ce dernier, réfugié au Mexique, ignorait tout de son procès. Il  découvrit sa condamnation en 1991, en rentrant en France et croyant à une farce déchira le dossier.

 

Récemment, Battisti a réclamé un vrai procès en présence d’observateurs. Il est en effet troublant qu’on lui refuse ce qu’on accorde à des criminels de guerre comme Milosevitch ou Sadam Hussein. Par ailleurs, comment pouvez-vous trouver de la complaisance dans vos rangs et ne rien dire à propos de l’attitude des juges de la cour d’appel qui, non seulement ont déjugé leurs prédécesseurs en accordant une extradition vers un pays dont la loi sur la contumace reste une anomalie en Europe, mais ont aussi accepté de rejuger une affaire qui l’avait déjà été une fois. Vous ne dites pas non plus ce que vous avez ressenti en entendant, le ministre Perben, en direct à la télévision, annoncer son verdict la veille du jugement alors que la plus extrême discrétion de sa part s’imposait.

 

Je suis donc déçu par vos petites phrases. Elles nous blessent de façon personnelle même si nous ne sommes pas des élus de votre majorité. En laissant entendre que certains défenseurs actifs de Battisti pratiquent une sorte de double jeu, vous n’avez pas contribué à clarifier la situation. Je dirai même mieux, vous nous avez fait reculer ; je sais bien que vous ne l'avez pas fait de façon délibérée, mais votre prise de position influence du monde comme vous devez le savoir.

 

Si des personnes se sont comportées de façon anormale, il fallait s’en prendre à ces personnes plutôt que de jeter la suspicion sur tout un mouvement qui n’a jamais fait l’apologie de la lutte armée. Enfin, renseignez-vous davantage sur cette affaire car la majorité de la presse n’a vraiment pas été à la hauteur pour donner des points de vue qui éclairent les faits, rien que les faits. Salutations déçues.

 

Claude Mesplède