La
Gazette
Pour le respect de la
parole donnée n°18 –
22/03/04 Deux ou trois choses que nous, Français, pouvons vous
dire ! Un
article publié dans le quotidien italien « Il Manifesto » par
Alexandre Bilous et Dominique Manotti. «
E’ cosi francese questa storia » écrivait la Stampa du 2 mars dernier, en
évoquant l’attitude des intellectuels et de la gauche française face à la
procédure d’expatriation engagée à l’encontre de Cesare Battisti. Des Français
un peu à côté des réalités, ignorant ce que fut la situation en Italie de ce que
l’on a appelé les « années de plomb », voilà ce que nous serions. C’est ce que
reprend dans le même journal, puis dans Le Monde, Barbara Spinelli,
traçant le portrait robot, « l’identitik », des intellectuels
français. La
rancœur déversée dans la majorité
de la presse italienne sur les personnes qui se mobilisent en France pour éviter
l’extradition de Battisti nous a étonnée. C’est de cet étonnement et de ses
raisons que nous voudrions faire part ici. Nous
sommes tous deux des amis du groupe il manifesto depuis plus de trente
ans et avons connu à ses côtés beaucoup d’espoirs et vécu beaucoup de
désillusions et de tragédies. Nous connaissons moins que les lecteurs de ce
journal la situation italienne, notamment des « années de plomb », mais mieux
que ne le supposent les Spinelli et consort. Notre
combat en faveur de Cesare Battisti n’est pas d’abord un combat contre l’Italie,
ni contre son gouvernement, ni contre son Premier ministre, ni contre sa
justice. C’est d’abord un combat français, franco-français même. Au travers de
ce combat c’est la continuité de la tradition républicaine en France qui, pour
une grande partie de ceux qui se sont mobilisés, est en jeu. Nous craignons
qu’une décision d’extradition de Battisti ne lui porte un coup
sérieux. La
forme actuelle de la république française est née à la fin du XIX° avec
l’avènement de la III° République. Elle est la fille de deux grands combats : la
laïcité et l’amnistie des communards. Si le premier aspect est assez connu, le
second a donné lieu à moins de travaux ou d’études La
question de l’amnistie des Communards est totalement liée à celle de la
construction de la République, entre 1871 et 1880.. Dès l’automne 1871,
c’est-à-dire dans les mois qui suivent l’écrasement de la Commune de Paris (mai
1871), la revendication d’une amnistie des condamnés accompagne la revendication
d’une levée de l’état de siège et de la construction d’une République conçue
comme le seul régime capable d’assurer la réintégration des communards dans le
corps social, de reconstituer l’unité du corps civique, d’être un modèle de
tolérance par la démocratie. Ce fut un combat incessant, qui a mobilisé une
foule de militants. A chaque élection, les républicains présentaient des
communards en position éligible. Ce combat fut aussi porté par des homme d’une
grande autorité morale comme Louis Blanc ou Victor Hugo. Ce dernier en fera le
point unique de son programme électoral et sera élu au Sénat sur cette
base. De
1871 à 1879, l’amnistie est au cœur des combats républicains. Les opposants
royalistes, bonapartistes, ou républicains extrêmement modérés qui rêvent de
s’allier à eux, la combattent au nom de la nécessaire justice qui doit passer
jusqu’au bout, de la punition exemplaire, de la justification de la justice
militaire qui « a œuvré avec tant
d’intelligence et de cœur », au nom du refus d’amnistier les contumaces (qui
n’ont pas payé) ou les « droits communs ». Or à peu près tous les communards
sont des « droits communs ». En
1879, Gambetta demande et obtient de l’Assemblée le vote d’une amnistie
générale, « première pierre de l’unité nationale », en même temps qu’est créée
la fête nationale du 14 juillet, et que les Chambres, installées à Versailles
depuis 1871, retournent à Paris. Cette référence fondatrice n’est absolument pas
une référence morte. Passons sur l’après guerre de 39-45, très complexe, pour
nous arrêter un instant sur la guerre d’Algérie, très proche de nous. Dès la
signature des accords d’Evian, qui mettent fin à la guerre, des voix s’élèvent
pour réclamer l’amnistie. Rappelons le contexte : on est alors très proche d’une
guerre civile, après un putsch manqué d’une partie de l’Etat Major, et en pleine
vague d’attentats de l’OAS. Et la personne même du général (et, plus grave pour
lui, de sa femme) a été visée à plusieurs reprises, dans des tentatives
d’assassinat qui ne sont pas des simulacres. Pour
envisager l’amnistie, le général exige que le combat contre l’OAS soit d’abord
gagné. Après différentes mesures partielles, l’amnistie générale est votée en
juillet 1968 (incluant tous les Français qui ont fait du soutien au FLN ou
combattu dans ses rangs), parce qu’il est impératif de recréer l’unité nationale
sur le passé un peu lointain de la guerre d’Algérie (6 ans… sans commentaires)
pour pouvoir se pencher sur les fractures nouvelles qui viennent de s’ouvrir
avec mai 68. Une loi d’amnistie pour les étudiants engagés dans les
manifestations violentes a d’ailleurs déjà été votée dès le 24 mai 68, sans
causer de remous. Nul
doute que Mitterrand ait cherché à se situer dans cette tradition, lors de son
arrivée au pouvoir, qui a elle aussi constitué un traumatisme pour
beaucoup de gens, en insérant une loi d’amnistie dans une politique plus large
de défense et d’élargissement des libertés. Suppression des tribunaux
militaires, abolition de la peine de mort, et amnistie présidentielle assez
large qui touche, contrairement à ce qui a été écrit en Italie (« les Français
sont prêts à absoudre les “terroristes italiens“ et ne pardonnent rien à leurs
propres terroristes ») les responsables d’Action Directe, emprisonnés pour
mitraillages et attaques à mains armées contre des policiers. Quelques années
plus tard, au milieu des années 80, ceux-ci repassent à la clandestinité, et
commettent plusieurs assassinats, dans une solitude quasi absolue, sans aucun
lien avec un quelconque mouvement de masse. Leur dossier doit être rouvert. Et
dans un premier temps, leurs conditions de détention (jugées inhumaines par
Amnesty International) doivent être au moins
décentes. L’accueil
offert aux réfugiés italiens s’inscrit directement dans la tradition française
que nous avons décrite : offrir une voie pour sortir de l’action violente,
offrir une chance de réinsertion. Cet accueil relève aussi d’une conception «
républicaine » de la construction européenne. Ça a parfaitement fonctionné. Pas
un seul des réfugiés italiens n’a trahi la confiance faite et la parole
donnée. Alors,
qu’on arrête. Il est temps de sortir de la vengeance. Et de faire un peu de
politique. Et que l’on commence à poser les vraies questions, au premier rang
desquelles nous plaçons l’amnistie. Pour
nous l’amnistie est une mesure politique, ce n’est pas une mesure morale. C’est
la recherche d’une forme de réintégration dans le corps social de ceux qui en
ont été éloignés. «
Les guerres civiles ne sont finies qu’apaisées. En politique, oublier, c’est la
grande loi. Sur une vaste faute, il faut un vaste oubli » écrivait Victor Hugo
(que nous n’avons jamais confondu avec Cesare Battisti). En cela l’amnistie se
distingue de la grâce, qui n’est pas un oubli, mais une manière de maintenir le
« gracié » dans une situation de soumission, d’infériorité. Et
l’amnistie ne permet pas uniquement « d’oublier ». Elle est aussi un moyen
politique de passer de la dimension émotionnelle (faire son deuil avec ses
tripes, se venger – même de manière moins vulgaire que ne le souhaite Luciano
Violante – etc.) à la dimension historique (commencer un travail de
réflexion sur ce qui s’est produit, sur les causes, les diverses facettes –
économiques, sociales, politiques, géopolitiques, etc. – de ces questions).
L’amnistie est une manière d’engager un travail d’histoire, de commencer à faire
les comptes avec le passé. En
tant que Français, amis de l’Italie de longue date, nous nous permettons de vous
poser une question: l’absence de débat sur l’amnistie dans votre pays n’est-il
pas une manière de refuser de faire les comptes politiques avec ce passé là,
dans toutes ses dimensions : la stratégie de la tension, le rôle des services
secrets, de la CIA, de Gladio, de la loge P2, de l’affaire Aldo Moro, du
compromis historique, des « années de plomb » ? Le
fait que 35 ans après le massacre de la Piazza Fontana, on n’ait toujours pas
trouvé de coupable (cf. le jugement de la cour d’appel de Milan du 12 mars),
n’illustre-t-il pas, au delà des difficultés qui ont émaillé la procédure depuis
1969, cette renonciation collective à faire les comptes politiques de la période
? Le fait de maintenir vivace, 25 ans après, la détestation à l’égard des
militants d’extrême gauche qui ont été impliqués dans les tourments de la
période, qu’ils soient en prison ou en exil, n’est-il pas une manière de masquer
cette renonciation ? Alexandre
Bilous Dominique
Manotti (Ecrivain) Le
comité de soutien de Toulouse a organisé une distribution de tracts avec
signatures JEUDI 18 MARS de 17h30 à 19h à la sortie du métro Capitole.
Huit
personnes ont collecté 140 signatures en une heure et demie. Un seul refus
constaté ! Lettre
ouverte aux radoteurs des tribunes libres…
Patrick Mercado Depuis quelques jours, en Italie et en
France, les tribunes libres fleurissent dans certains canards avec le même
leitmotiv : Cesare Battisti. A longueurs de colonnes, des donneurs de
leçons nous gavent de leurs amalgames simplistes. En comparant Cesare aux
terroristes actuels, non seulement, ils déforment le sens de nos actions mais
surtout ils manipulent la vérité. Je me sens obligé de leur foutre mon point sur
leurs I. Je voudrais rappeler à ces estropiés de la mémoire que l’Europe de la
fin des années soixante n’avait vraiment rien à voir avec celle d’aujourd’hui.
Le monde était manichéen, la télé en noir et blanc comme la vie de beaucoup
d’entre nous. Les grèves ne ressemblaient pas à des garden-party, les poulets
défouraillaient sur les prolos et la classe ouvrière enterrait ses morts sans
cellule psychologique ! Ils l’ont peut être oublié mais à
l’époque, l’Espagne de Franco garrottait encore ses anarchistes, ses communistes
ou ses basques, au Portugal, les séides de Salazar flinguaient les opposants aux
guerres coloniales, en Grèce les colonels muselaient la démocratie, en Turquie,
l’armée leur emboîtait le pas de l’oie, en France, à peine sortie du bourbier
algérien, le général amnistiait les comploteurs de l’O.A.S, en Italie leurs
potes du M.S.I. s’armaient sous le regard bienveillant de la C.I.A. en R.F.A.
les nostalgiques créaient le N.P.D. sans oublier l’Amérique Latine. Un peu
partout, l’extrême droite relevait la tête et s’organisait en une internationale
brune. Le temps n’était ni aux sit-in ni au
consensus ! Mais comment ces amnésiques
pourraient-ils s’en souvenir ? Pour cela, il fallait militer, être impliqué
dans la lutte contre ces différentes organisations. Ici, ça exigeait de se
friter régulièrement avec l’U.N.I, l’Ordre Nouveau et Occident, là bas
d’affronter les fafs et leurs alliés.
Et ces gugus n’avaient rien de baba cool ni de fans de Gandhi… Malatesta écrit que pour être pacifiste,
il faut être deux !
Cesare a réagi à une situation donnée, à
une époque bien précise. Analyser son choix hors de son contexte, relève de la
malhonnêteté historique ! C’est fastoche de juger, bien planqué derrière
son burlingue, trente piges après…
Si nous avons pu croire que nos ennemis d’hier avaient baissé leur garde,
la virulence de leurs attaques contre Cesare dans une presse que plus jeune nous
taxions de bourgeoise, nous montre qu’il n’en est rien. Un vieil air me trotte dans la
tronche : « Non, non, le fascisme n’est pas mort… » Parano vont dire certains. Pas
sûr ! Cesare comme presque toute une génération a filé les foies à la
bourgeoisie et aux gouvernements de la vieille Europe. Et pour les avoir,
ils les ont eu et copieux
encore… Ces gens là ont la rancune
tenace. Pour preuve, la façon dont les membres d’Action directe sont traités…Et
si l’acharnement envers Battisti n’était qu’une vengeance ? Si en s’en
prenant à lui, une certaine droite réglait ainsi une bonne fois pour toutes ses
comptes avec le gauchisme ? Certaines réactions tendraient à nous le
démontrer. Telle celle de notre garde des sceaux qui n’a pas fait dans la
dentelle, nous brodant un scénar de derrière les fagots. S’étonnant même que
Cesare ne fasse pas confiance à la justice de son pays ! Il est beau, le
garenne ! L’acquittement des
fachos de la Piazza Fontana nous prouve que Cesare à raison de se
méfier. Un conseil, les trépanés du bulbe, au
lieu d’écrire en rond sur Battisti, lisez plutôt ses bouquins ! Surtout n’ayez
pas les flubes, contrairement à la vérole, le talent ça ne s’attrape pas !
Une seule de ses interrogations vaut toutes vos certitudes. Ce type est un
écrivain. Un vrai. Pas l’un de ces guignols formaté pour la télé dont le style
insipide et nombriliste nous fait trouver passionnante la lecture du bottin.
Non, chez lui, parfois les mots schlinguent comme un claquos oublié sur un
rebord de fenêtre et d’autres ils ronronnent tel un greffier repu. Car la
substance de son écriture vient d’un vécu qu’il n’occulte pas. Il nous le livre
avec pudeur mais sans concession ni complaisance. Démarche plutôt rare en ces
temps de déballages médiatiques. Certes il a côtoyé la violence mais sans y
perdre son âme. Et c’est tout à son
honneur. C’est pour toutes ces raison que je signerai et des deux pognes encore et si cela ne suffit pas avec mes pieds même pour que ce pays qui n’a pas toujours été aussi regardant sur le passé de ses hôtes, respecte la promesse faite par l’un de ses président à Cesare Battisti ! Prochaine Gazette dans une semaine.Vous pourrez lire · Cesare Battisti doit se taire · A propos de la parole
donnée Pour retrouver les textes publiés par la
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