La Gazette                                                                 

Pour le respect de la parole donnée

n°16 – 16/03/04

 

 

 

A celui qui regrette d’avoir signé

Claude Mesplède

 

Tu regrettes d’avoir signé la pétition contre l’extradition de Cesare Battisti et des autres Italiens abrités par la France. Ces regrets tardifs ont été provoqués, m’as-tu avoué, par l’énumération dans la presse, de tous les crimes commis par Battisti durant les années de plomb.

 

J’ai lu comme toi la description détaillée des quatre homicides dont il est accusé. Je me suis également rappelé qu’à la fin de 1990, lorsque Battisti quitte le Mexique pour s’installer en France, il est, à son arrivée, emprisonné à Fresnes où il passe cinq mois. Pendant ce temps, les juges de la cour d’appel de Paris examinent son dossier suite à une demande d’extradition formulée par l’Italie. Bien sûr, à cette époque, en 1991, le dossier de Battisti mentionne tous les homicides dont on l’accuse encore aujourd’hui. Pourtant cette liste de méfaits n’a pas convaincu les juges qui ont donné un avis défavorable à la demande d’extradition. Dès cet instant, Battisti s’est trouvé placé sous la protection de l’Etat français en vertu d’un engagement du président Mitterrand énoncé en 1985.

 

Une affaire jugée ne peut pas être rejugée. Cette règle du droit français ne semble pas gêner le ministre de la justice qui a décidé de demander à la cour d’appel de se prononcer à nouveau sur l’extradition de Battisti. Son dossier, identique à celui de 1991, et le fait que cette affaire ne devrait pas être rejugée, permettent de penser que la réponse des juges (s’ils acceptent de rejuger) sera identique à l’avis exprimé en 1991. Mais rien n’est moins sûr car les conditions dans lesquelles cette décision sera prise ne sont pas les mêmes qu’en 1991.

 

En effet, le ministre de la justice s’est beaucoup investi dans cette affaire. Il a commencé à travestir la vérité sur l’arrestation de Battisti qu’il a accusé d’avoir menacé de mort un voisin. Non content de diffuser une telle énormité, il est intervenu à FR3 contre la libération de Battisti, la veille du jugement remettant celui-ci en liberté conditionnelle. La même homélie a été reprise par Le Figaro, l’Express et quelques autres médias. Force est d’ailleurs de constater que le ministre n’a pas trouvé beaucoup d’opposants pour le contrer et mettre en évidence sa façon tendancieuse d’exposer l’affaire et d’accuser Battisti. Détails troublants : on n’arrête pas de trouver des micros chez les juges. Nanterre d’abord (peut-être à cause de l’effet Juppé), puis Caen aux dernières nouvelles. En attendant de découvrir des mouchards dans d’autres villes et peut-être pas seulement chez les juges.

 

Tu regrettes d’avoir signé la pétition, mais te rends-tu compte de la façon dont cette affaire est orchestrée ? Déjà alerté en 2002 par notre vive réaction, puis en 2003 par le refus du procureur général de la cour d’appel d’exécuter ses demandes d’extradition, le garde des sceaux n’a rien laissé au hasard pour susciter parmi l’opinion publique une certaine pression pour l’aider à arracher la décision. Pour ce faire, la stratégie qu’il a élaboré n’est pas très originale, mais efficace. Il faut évitert le plus possible d’évoquer l’engagement pris par l’Etat français vis à vis des Italiens qui vivent chez nous depuis 15 à 20 ans, et se contenter d’énumérer la liste des homicides attribués à Battisti. En procédant ainsi, on suscite chez les auditeurs un sentiment moraliste du type « on va pas garder chez nous un assassin ». Personne n’indique que Battisti a toujours nié les crimes dont on l’accuse. Personne non plus, n’a dit qu’en Italie, un condamné par contumace comme lui, n’a pas le droit d’avoir un nouveau procès. Si l’extradition est accordée, Battisti ira directement en prison jusqu’à la fin de sa vie.

 

Mais le ministre n’étant pas certain de la décision qui va guider les juges chargés de décider ou non l’extradition, un tintamarre médiatique d’une ampleur jamais connue s’est déchaîné en France, ainsi qu’en Italie où tous les records de falsification, de traductions altérées et d’interprétations douteuses sont établis. Le plus célèbre romancier populaire italien, Valerio Evangelisti en fera la preuve jeudi dans un long article qu’il m’a communiqué. En France, jamais affaire de ce type n’avait suscité de telles empoignades. Les épithètes fleurissent à l’égard des signataires. On nous reproche de faire l’apologie du terrorisme alors que nous l’avons condamné tout comme la lutte armée. Et nos détracteurs ironisent sur la médiocrité des « intellectuels gauchistes » qui défendent un assassin parce qu’il est d’extrême gauche. Ils évitent de façon concertée toute référence à l’engagement de l’état à propos des réfugiés politiques italiens car ils savent que cette référence au respect de la parole donnée, recueillerait un écho très favorable chez les citoyens pour lesquels l’honneur de la France reste une chose importante qu’ils votent à droite, à gauche ou nulle part.

 

Alors, si tu regrettes toujours d’avoir signé, sache que tu n’as pas eu le choix du terrain, pas davantage du sujet à traiter. Le ministre de la justice a choisi à ta place en t’obligeant à dire « je ne défends pas un assassin ». Il t’a aussi obligé à penser que Battisti était cet assassin sans te laisser entendre ses dénégations ni te dire qu’il n’aurait jamais la possibilité de prouver son innocence. Voilà pourquoi il est important que tu ne regrettes rien. Tu as refusé d’être manipulé en déjouant cette stratégie du mensonge par omission. Cette attitude ne te paraît-elle pas plus adaptée avec ta conception de l’honneur du pays des droits de l’homme et du respect des engagements pris ?

 

 

 

Un de nos correspondant nous communique

 

Les fascistes de Piazza Fontana acquittés

 

Alors que Libération de vendredi (12 mars) et le Monde de samedi (daté dimanche 14 mars) se font les vecteurs d’une contre-offensive idéologique de la part de militants de gauche italiens, d’un écrivain de talent et de grand renom (Magris) et d’une éditorialiste de la Stampa (Spinelli), les juges de la cour d’appel de Milan décidaient, le 12 mars, d’acquitter Delfo Zorzi (réfugié au Japon et citoyen japonais), Carlo Maria Maggi et Giancarlo Rognoni, condamnés à perpette pour avoir été les auteurs ou les complices de l'attentat de la Piazza Fontana en 1969.

 

Le 12 décembre 1969, le premier attentat "aveugle", "de masse", italien était perpétré dans la banque de l'Agriculture, Piazza Fontana, avec 17 morts et 87 blessés. La police accuse dans un premier temps un cheminot anarchiste, Pinelli, qui sera suicidé par le commissaire Calabresi dans la nuit du 15 au 16décembre. (Voir la pièce de Dario Fo: "Mort accidentelle d'un anarchiste"). Puis c'est Valpreda, danseur et anar lui aussi qui est inculpé en même temps que Merlino. Les confessions d'un jeune dirigeant de la DC milanaise ouvrent la piste de néofascistes : Freda, Ventura et Giannettini sont condamnés à perpétuité en 1979. Valpreda et Merlino sont innocentés, mais condamnés à quatre ans pour avoir appartenu à une association subversive (sic).

 

En 1981, la cour d'appel décrète l'innocence de ces fascistes dans l'attentat. En 1987, deux autres fachos sont condamnés, Stefano delle Chiaie et Massimiliano Fachini. Deux ans plus tard ils sont acquittés tous deux. Un juge d'instruction de Milan, Guido Salvini, reprend une vieille piste d'extrémistes de droite : Delfo Zorzi, qui s'est réfugié au Japon, Rognoni, Nico Azzi, Paolo Signorelli, Sergio Calore, Carlo Digilio et Ettore Malcangi. Dans cette enquête, le nom de Lucio Gelli (patron de la loge P2) sera souvent cité. Le 30 juin 2001, Zorzi, Maggi e Rognoni, sont condamnés à perpétuité. Jusqu'au 12 mars dernier. Jeudi dernier.

 

Piazza Fontana a représenté un événement considérable en Italie. Cet attentat a été l'élément déclencheur de la "stratégie de la tension", orchestrée par les services secrets italiens avec des fascistes comme hommes de main; mise en oeuvre à la demande de la CIA directement et par l'intermédiaire de GLADIO;  soutenue par une partie de la DC; appuyée par la loge P2. L'objectif était de limiter l'influence du PCI, de créer la peur, de combattre tout ce qui combattait l'ordre établi, dont le puissant mouvement syndical et le mouvement étudiant. Ces responsabilités sont aujourd'hui établies historiquement. Mais pas encore reconnues sur le plan judiciaire, trente-cinq ans après. La Piazza Fontana reste encore aujourd'hui un attentat sans coupable.

 

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/13-Marzo-2004/indice.htm#PZ49

http://www.repubblica.it/2004/c/sezioni/politica/piazzafontana/piazzafontana/piazzafontana.html

 

week-end militant

 

Valence

Chaude ambiance au festival de Valence, comme tu peux le penser. Le jeudi 12 mars au soir, soirée de solidarité avec Battisti. Projection du film Ciao, Bella Ciao. La salle était pleine. (100, 200 personnes?). Après le film, il y eut un débat animé d'où il ressort à la fois une grande demande de connaissance et d'informations sur les luttes des années 70, aussi bien en France qu'en Italie, et l'affirmation d'un soutien sans faille au respect de la parole donnée. Pendant le festival, le cas de Battisti est resté au centre de toutes les discussions.

Dominique Manotti

 

Lens

Bonjour, juste ce petit message de soutien à Cesare. Choses vues au salon qui font du bien : samedi 13 mars sur le salon du livre policier de Lens où Cesare avait participé il y a trois ans, lors de l'inauguration, le maire Monsieur Guy Delcourt a pris position pour le soutien de Cesare (rappelant la parole donnée de Mitterrand),  Didier Daeninckx, parrain du salon suite au discours du maire l’a remercié pour cette prise de position. Certains auteurs avaient le texte de Pennac à leur table ainsi que les livres de Cesare (que plusieurs ont vendus). Voilà c'est tout, nous restons mobilisés

Sébastien et Rosina

 

 

 

 

 

Dans la Gazette du mercredi 17 mars

 

·    Cesare Battisti doit se taire
un article de Valerio Evangelisti

 

 

 

 

 

La Gazette : http://cesarebattisti.free.fr